Les indicateurs permettent d’évaluer les tendances, la performance résulte des bons comportements sur le terrain.
La présence du management sur le terrain doit encourager les bons comportements et créer une culture de responsabilité collective.
Le recrutement massif et une expérience hétérogène mettent à l’épreuve les pratiques de sécurité industrielle et radiologique.
Si les indicateurs permettent de mesurer les performances en matière de sécurité, ils ne racontent qu’une partie de l’histoire. Le nombre d’événements de sécurité est traditionnellement exploité. Les indicateurs de résultats appréhendent mal les aspects comportementaux. Leur utilisation comme seule mesure de performance peut rendre une organisation aveugle aux facteurs sous-jacents. Les indicateurs de pilotage, quant à eux, aident à identifier des lacunes organisationnelles et comportementales.
Les programmes de leadership et de behavioural safety sont de nature à s’attaquer aux causes comportementales. Les interactions de terrain aident à comprendre les facteurs qui influencent les comportements et à créer une approche collaborative. Ces programmes, qui existent depuis le début des années 80, ont prouvé que le leadership et la présence du management sur le terrain augmentent l’engagement des travailleurs et leur niveau de responsabilisation, améliorant ainsi les performances de sécurité et réduisant le nombre d’accidents.
Lors de mes visites, j’ai encore constaté que l’on accordait trop d’attention aux indicateurs et à leur gestion en comparaison des observations et du travail sur les comportements. Je continue d’observer des événements les mettant en cause.
Cette faiblesse récurrente est imputable à plusieurs facteurs communs à la France et au Royaume-Uni. Les récents programmes de sécurité se sont concentrés sur les managers. Une forte rotation du personnel et des programmes de recrutement importants ont conduit à perdre certains repères. Un manque de vigilance partagée ou une « pudeur » à interagir entre travailleurs qui devraient veiller les uns sur les autres. La sécurité et la radioprotection sont souvent perçues comme une affaire d’experts et non comme une responsabilité individuelle et collective.
D’autres facteurs sont spécifiques. Au Royaume-Uni, depuis le programme Performance Humaine au début des années 2000, il n’y a pas eu de programme collectif de behavioural safety associant managers et travailleurs. Au fil du temps, le départ de salariés expérimentés a émoussé la culture commune. En France, les travailleurs ont encore trop tendance à mettre en œuvre les parades en fonction de leur seule perception.
Ces lacunes sont reconnues par Nuclear Operations et la Division production nucléaire (DPN). L’approche au Royaume-Uni reste embryonnaire avec des plans d’amélioration hétérogènes. En France, les leviers d’action privilégient la formation des managers en vue d’un effet d’entraînement sur les salariés et les partenaires industriels.
La majorité des accidents résulte de mauvais comportements. Le programme de behavioural safety vise à renforcer la culture sécurité. Son principe est d’agir sur la responsabilisation plutôt que sur la mise en place de solutions matérielles ou procédurales. Son objectif est d’utiliser la présence terrain et les observations pour encourager les bons comportements et comprendre les facteurs à l’origine d’écarts.
De tels programmes sont en œuvre depuis plusieurs années (par exemple pour réduire les accidents à l’usine du combustible de Springfields au Royaume-Uni).
Les indicateurs de sécurité de la DPN atteignent leurs objectifs (cf. annexes). Trop dépendants des modalités de déclaration, notamment administratives, ils restent difficiles à comparer aux standards internationaux. Il est primordial de se fier aux observations de terrain.
Lors de mes visites en France, j’ai constaté des différences avec le Royaume-Uni et les États-Unis. Les exigences sont encore perçues par les travailleurs français comme un obstacle à la réalisation de leur activité. Les freins générationnels ou sociaux perdurent : un jeune a encore du mal à faire une observation à un ancien et un sous-traitant à un agent EDF. Les managers et chargés de surveillance ont moins conscience de leur responsabilité juridique. Derrière la signature d’une analyse de risques, d’un régime de consignation, le chargé de travaux a-t-il toujours la perception des risques terrain et de sa responsabilité envers son équipe ?
Au Royaume-Uni, bien que les indicateurs soient bons (cf. annexes), des signaux faibles indiquent un relâchement des comportements. Cette inflexion est connue d’EDF Nuclear Operations et je perçois une réelle volonté de l’endiguer pour atteindre des niveaux de performance internationaux.
L’analyse des événements de sécurité à haut et moyen potentiel (HPE et MPE) identifie les tendances pour prévenir les situations dangereuses et les accidents graves. A Hinkley Point C (HPC), une meilleure remontée d’information a permis de détecter les situations dangereuses et d’anticiper les actions correctrices. C’est d’autant plus important face à la montée en puissance en 2024 des montages électromécaniques.
Les résultats chez Framatome marquent le pas. Au-delà des effets arithmétiques liés à l’intégration de nouvelles entités (Framatome ARC fin 2022 et Framatome Grenoble, en 2023), ce constat souligne le besoin d’accompagner l’augmentation du volume des activités et des effectifs, notamment sur les sites industriels, en renforçant la prévention des risques professionnels. Le niveau d’exigence vis-à-vis des sous- traitants doit également être accru : les principaux concernés ont reçu en 2023 un courrier leur rappelant les exigences de Framatome en matière de sécurité. Les critères d’évaluation, de sélection et de notation doivent être adaptés.
Aucun accident mortel n’est à déplorer cette année dans le périmètre des activités nucléaires du Groupe. Ce bilan positif est à imputer au développement et à la promotion de la culture sécurité, à maintenir dans la durée. Cependant, les décès survenus en 2023 dans le Groupe et en lien avec une activité industrielle nous rappellent l’importance du strict respect des règles liées aux risques critiques (travaux en hauteur, sous tension, risque de chute d’objet en cas de manutention…).
Les levages sont essentiels à la maintenance des installations. Les risques associés sont gérés de plusieurs manières : formation et qualification du personnel, évaluation des risques, rédaction des instructions, certification et inspection des équipements, et application des consignes. Tous ces éléments, lorsqu’ils sont respectés, garantissent la sécurité du personnel.
De graves blessures et des chutes de charges importantes ont été provoquées par le non-respect de ces mesures. Par ailleurs, en France, un moteur a chuté de plusieurs mètres à proximité de la piscine réacteur. La potence a cédé pendant le levage par surcharge. De même, l’utilisation non conforme aux consignes d’une potence de levage a entraîné la chute (d’environ dix mètres) d’une charge de 110 kilos.
A ces événements, qui manifestent des lacunes d’exploitation des matériels de levage, s’ajoutent des insuffisances dans les inspections et des écarts de conformité. Des audits et des évaluations ont révélé l’absence de certificats de conformité et d’historique de maintenance pour certains matériels.
Une nacelle conduite par un opérateur qualifié, sous la supervision d’un surveillant, devait passer par un portique de sécurité pour accéder au chantier. Le conducteur a badgé au portique d’accès pour entrer dans la zone protégée du site, tandis que le surveillant a dû badger à un autre tourniquet pour piétons. Transgressant la consigne d’attendre le retour du surveillant, le conducteur poursuit sa route et heurte un piéton. Tombé sous la nacelle, il subit un grave écrasement des membres inférieurs entraînant une amputation.
Avec 59 grues sur le chantier de construction d’HPC au Royaume-Uni, le site concentre des risques levage. Pour y faire face, la sécurité du levage HPC a été renforcée en 2023 par la mise en œuvre de nouvelles pratiques : installation de caméras sur les crochets de 39 grues pour aider les grutiers à mieux identifier les dangers, réduction du nombre de personnes impliquées dans les activités de levage et amélioration des compétences spécifiques au domaine. Les exigences relatives au levage ont été mises à jour pour refléter ces améliorations. Les montages électromécaniques de 2024 poseront de nouveaux défis de levage, en particulier à l’intérieur des bâtiments. J’invite le projet à la vigilance pendant cette phase d’activités. J’invite également à transférer au chantier EPR2 de Penly l’expérience d’HPC.
Les travaux électriques exigent le strict respect des consignes car les conséquences d’une électrisation peuvent être fatales. Il est essentiel que ceux qui interviennent sur les équipements électriques se protègent des dangers en appliquant les règles de l’art. Certaines pratiques sont spécifiques, comme la vérification de l’absence de tension, le manchonnage des câbles et le port des équipements de protection individuelle (EPI). D’autres pratiques, telles les méthodes de prévention des erreurs humaines (PFI, pratiques de fiabilisation des interventions), concernent tous les travailleurs et sont à prendre en compte dans la planification et la préparation des consignations / déconsignations électriques.
Je continue de constater un certain relâchement et des comportements inadaptés. Des électriciens négligent de vérifier l’absence de tension, poser les manchons de protection sur les câbles à nu, porter les EPI requis (masque facial, gants spécifiques, etc.) ou recourir aux PFI pour confirmer qu’ils interviennent sur le bon équipement. Des chargés de consignation n’utilisent pas efficacement les PFI pour garantir la mise hors tension du bon matériel.
Après une modification dans un tableau, les consignations électriques sont levées pour réaliser les essais fonctionnels. Dans l’attente des travaux d’intervention ultérieurs, une mesure technique compensatoire est définie. Les mêmes intervenants entrent dans le local électrique, sans autorisation. Quelques minutes plus tard, une explosion et un flash se produisent. Les deux intervenants sont blessés. L’un d’eux est gravement atteint au visage et aux yeux. Un mètre ruban métallique calciné est retrouvé sur place et les lunettes de protection intégrées au casque ne sont pas portées.
L’usage de stupéfiants est un délit puni d’emprisonnement. Commettre cette infraction dans l’exercice d’une fonction est une circonstance aggravante. Le programme systématique de dépistage des stupéfiants répond à plusieurs objectifs : la santé / sécurité du personnel, la sûreté des installations et la réputation du Groupe.
Je constate que la DPN dispose désormais d’un plan de dépistage dans tous les sites, deux l’ont déjà appliqué en 2023. Cependant, je suis surpris de constater que leur déploiement reste retardé par des résistances institutionnelles et administratives, particulièrement lors de l’examen des projets de modification des règlements intérieurs. J’en appelle à toutes les parties prenantes, y compris les inspections du travail et les partenaires sociaux, de faire en sorte que 2024 puisse être l’année du déploiement de ces tests préventifs dans tous les sites pour le personnel, EDF et prestataires.
Je serai attentif aux dispositions prises sur le chantier de l’EPR2 de Penly. J’invite la direction du projet à tirer les leçons de l’expérience malheureuse de FLA3 et à s’inspirer des bonnes pratiques d’HPC. Ces deux sites pratiquent à présent des tests qui ne posent aucun problème d’acceptabilité (environ 11 000 tests ont été effectués en 2023 à HPC, soit plus du double qu’en 2022).
Depuis 2018, les modalités de réalisation des contrôles sont inscrites dans les règlements intérieurs des établissements de Framatome.
Contrairement à la sécurité classique, les risques générés par les rayonnements ionisants ou la contamination sont difficiles à percevoir. Cette caractéristique affecte les comportements des travailleurs. Pour y remédier, ils doivent bénéficier d’une formation, d’instructions et d’un coaching appropriés. Objectif : influencer les comportements en faisant comprendre les dangers et en expliquant les exigences.
En France, les stages de recyclages (sûreté-sécurité-qualité-radioprotection) n’atteignent pas leurs objectifs. Cela se manifeste par un manque de compréhension et de respect des régimes de travail radiologique, des oublis de port de dosimètres ou encore des réactions inadaptées lors de l’activation d’alarmes des dosimètres. Les faiblesses de ces stages sont reconnues par la DPN, qui a demandé à l’UFPI (Unité de professionnalisation pour la performance industrielle) d’en revoir les modalités.
Le manque de cohérence entre sites dans la déclinaison des exigences de radioprotection ajoute à la confusion des prestataires. Je demande d’y remédier rapidement. Les mouvements de personnel sont suffisamment importants et générateurs de risque pour ne pas y ajouter des référentiels fluctuants.
Il y a trois ans, la DPN a lancé son Plan de reconquête de radioprotection qui s’est traduit par une réduction de la dose globale des travailleurs et du nombre de contaminations. Néanmoins, si les spécialistes se le sont bien approprié, d’importantes faiblesses comportementales subsistent à la conduite, à la maintenance et chez les prestataires. Il convient de saluer l’initiative d’autodéclaration en zone contrôlée (ZC) mise en œuvre dans certains sites : elle demande que les intervenants qui n’ont pas de chantier fixe s’autocontrôlent régulièrement et déclarent leur éventuelle contamination avant le passage aux portiques.
A Flamanville 3, la ZC est en service dans le bâtiment combustible et devrait être généralisée pour entraînement à l’ensemble des installations plusieurs mois avant le chargement. Une importante action de préparation et de formation a été effectuée par le site pour communiquer les exigences et les attentes du travail en ZC. C’est une bonne occasion de s’approprier les bonnes pratiques et d’adopter les bons comportements dès le début.
Au Royaume-Uni, pour identifier les lacunes dans les connaissances et les comportements, les non-conformités aux règles de radioprotection sont analysées. Cela permet d’identifier des lacunes spécifiques et d’engager des plans d’action ciblés qui ont déjà commencé à porter leurs fruits.
Le tir radio est une méthode d’inspection non destructive pour vérifier la qualité des soudures. L’utilisation de rayonnements ionisants engendre des risques gérés par des processus rigoureux et par la formation et l’habilitation des intervenants spécialistes.
De nombreux événements liés aux tirs radio dans les sites français continuent de m’alerter. Il s’agit d’une tendance récurrente depuis plusieurs années. Réelle préoccupation, les performances des prestataires ont fait l’objet de nombreuses initiatives à la DPN.
Malgré un solide processus de formation et d’habilitation, on continue de constater des mauvaises prises de décision et des manques de rigueur dans la sécurisation des zones d’exclusion et dans l’utilisation des appareils gammagraphiques. Autant de manquements aux pratiques fondamentales des tirs radio. En complément, je continue à observer des événements où les travailleurs ne respectent pas les balisages et la signalisation des tirs radio.
Le tir radio est très souvent une activité sous-traitée par les prestataires de soudage, ce qui peut diluer le contrôle qu’EDF exerce. Au Royaume-Uni en revanche, toutes les activités de tir radio sur les sites en production sont directement sous-traitées par EDF Nuclear Operations, qui conserve le contrôle et la surveillance de la prestation et en assure la sécurité.
A HPC, le nombre de tirs radio augmentera en 2024. L’équipe de projet cherche à diminuer la quantité de tirs sur site ou à en réduire l’impact. Parmi les méthodes simples et sûres, on peut citer l’augmentation des contrôles en usine, l’utilisation de sources d’énergie réduite pour minimiser les zones d’exclusion (Small Contained Area Radiography SCAR) ou l’utilisation d’autres techniques d’essais non destructifs telles les inspections par ultrasons phased array.
PAUT est une technique avancée d’essai non destructif par ultrasons multiéléments. Elle est déployée depuis un certain temps dans d’autres secteurs très réglementés comme la pétrochimie. Les sondes, pulsées individuellement, créent un faisceau phasé qui balaie la zone d’inspection afin d’identifier les défauts.
Il est prévu que ce système puisse couvrir 67 % du périmètre de l’inspection radiographique à HPC et bénéficier à Sizewell C.
La maintenance en zone contrôlée nécessite une propreté radiologique, un environnement de travail et des dispositions de protection qui empêchent la dispersion de matières et la contamination des intervenants. Cela passe en particulier par la mise en place de sas de confinement.
En 2022, plusieurs événements de contamination notables avaient eu lieu dans le parc français et il est regrettable que ce genre d’événement se répète en 2023. Les compétences et comportements en sont, une fois de plus, la cause. Des sas mal montés ou utilisés, aux ventilations inopérantes, et l’absence de réponse aux alarmes ont conduit à des contaminations internes et externes, dont un ESR (événement significatif de radioprotection) dose peau classé INES 2, et des évacuations de bâtiments réacteurs.
Au Royaume-Uni, seuls deux événements de contaminations internes se sont produits en 2023, inférieurs au niveau de déclaration. Le design des réacteurs AGR est favorable à la radioprotection. Les performances du REP de Sizewell B (le seul du parc britannique) en matière de propreté radiologique sont comparables à celles du parc AGR. Sur la base de bonnes performances historiques, l’indicateur de contamination a été retiré des indicateurs de haut niveau et remplacé par un suivi des écarts de comportement aux règles de radioprotection. Les événements de contamination qui demeurent sont de faible ampleur et généralement liés aux activités des arrêts pour rechargement.
Dans un site français, une centaine de travailleurs ont été, début 2023, exposés à divers degrés de contamination, du fait de la défaillance de plusieurs lignes de défense sur un chantier de contrôle de tubes de générateur de vapeur dans le bâtiment réacteur. Les investigations ont montré des défauts de confinement statique et dynamique du sas, des défauts de suivi des balises de surveillance pourtant fonctionnelles, ainsi que le manque d’expérience des acteurs et une absence de contrôle technique. Le bâtiment réacteur a été évacué. Les contrôles n’ont pas révélé de contamination individuelle supérieure aux seuils de déclaration.
Malgré des plans de redressement, des problèmes de culture de sécurité et de radioprotection persistent. En France comme au Royaume-Uni, les comportements restent la cause d’événements importants. Je recommande aux directeurs de la DPN et de Nuclear Operations de réévaluer leurs plans de façon à modifier les comportements individuels et collectifs, sur le terrain.
RECOMMANDATION |
Malgré des plans de redressement, des problèmes de culture de sécurité et de radioprotection persistent. En France comme au Royaume-Uni, les comportements restent la cause d’événements importants. Je recommande aux directeurs de la DPN et de Nuclear Operations de réévaluer leurs plans de façon à modifier les comportements individuels et collectifs, sur le terrain.