L’EPR2 est une version optimisée et industrialisée de l’EPR. Sa conception intègre des standards de sûreté et d’environnement parmi les plus élevés au monde.
Le programme actuel de l’EPR2 prévoit la construction de trois paires de réacteurs avec en option quatre paires supplémentaires.
Les trois premiers sites retenus sont ceux de Penly, Gravelines et Bugey.
Le projet EPR2 a été consolidé depuis le discours du président de la République à Belfort en février 2022 et bénéficie de la loi de juin 2023 relative à l’accélération des procédures de construction des nouvelles installations nucléaires. Une délégation interministérielle au nouveau nucléaire (DINN) supervise le programme et coordonne l’action des administrations. Ces dispositions gouvernementales et la réorganisation du Groupe reflètent la volonté de créer les conditions de réussite du programme EPR2.
Pour compléter cette saine dynamique, les plannings d’instruction réglementaire de l’Autorité de sûreté nucléaire (ASN) et du projet d’EDF doivent converger. La montée en puissance du programme sera soutenue et requiert de toutes les parties prenantes de fonctionner en mode projet.
La gouvernance du projet est bien structurée. Les revues de design de la MOA (maîtrise d’ouvrage), combinées aux revues de maturité, aux comités de pilotage des points ouverts et à ceux consacrés aux modifications, sécurisent le projet. L’autorité technique, qui devait être prochainement créée à la DSTID (direction stratégie, technologies, innovations & développement), devra apporter une vision transversale et stratégique sur certains sujets de sûreté et garantir standardisation et réplication du premier palier.
Je salue la revue de programme convenue entre la DINN et EDF. Son rapport évalue la maturité de l’EPR2 en fin d’avant-projet (basic design), les conditions pour lancer les études de projet détaillé (detailed design), la cohérence du calendrier et du devis. Au-delà de l’état des lieux, cette revue fait des propositions sur les aspects organisation, étude, méthode industrielle, relations avec les autorités, partenariat avec les fournisseurs, délais et performance.
Les équipes d’Edvance qui réaliseront le detailed design croissent rapidement avec un enjeu de montée en compétences et d’intégration des nouveaux embauchés. Elles devront être conseillées par l’exploitant pour que l’installation soit adaptée à ses besoins, au regard notamment des modalités d’implantation des équipements, de la définition des règles de conduite et d’exploitation (RGE), de la conception de l’interface homme machine (IHM). Je note avec satisfaction que la Direction industrielle est totalement impliquée et responsabilisée dans le choix des matériaux.
Créée par décret le 7 novembre 2022 dans la continuité du discours de Belfort, la DINN supervise pour le compte de l’Etat la réalisation des programmes industriels de construction des nouveaux réacteurs électronucléaires français. Rattachée au Premier ministre, elle s’assure que ces programmes seront menés dans les délais et dans les coûts fixés. La DINN contribue à la mise en place des dispositions relevant de la responsabilité de l’Etat et coordonne l’ensemble des acteurs.
Le projet a déménagé à Lyon à l’été 2023 avant une forte croissance de ses effectifs. Le personnel resté en région parisienne a majoritairement été redéployé dans les unités d’ingénierie de la capitale et continue de travailler pour le projet.
La DIPNN (Direction de l’ingénierie et des nouveaux projets nucléaires) travaille à résoudre les difficultés de son nouvel environnement informatique (progiciel PLM 3DX). Le manque de performance des modules documentaires et P&ID (diagrammes de tuyauterie et d’instrumentation) a fait perdre en productivité. Une meilleure implication des développeurs aux côtés des métiers en phase de développement du progiciel aurait été nécessaire. La réplication des données du site de Gravelines n’a pu être encore effectuée sous 3DX et devra être sécurisée.
Le succès industriel du projet EPR2 passera par notre capacité à faire « bien du premier coup » par réplication. Il s’agit de garder strictement l’effet palier sur les six premiers réacteurs puis d’en faire bénéficier les suivants pour maximiser les effets de série et optimiser qualité, délai, coût.
L’ASN et EDF ont convenu que l’instruction de la partie générique du rapport de sûreté des réacteurs de Penly et ses conclusions s’appliqueront à tout le premier palier EPR2. Ce principe devra impérativement être respecté dans la durée et mérite d’être étendu à la réglementation ESPN (équipements nucléaires sous pression) pour la fabrication des gros composants, produits standardisés. Avant de débuter les activités de detailed design, les exigences et référentiels applicables aux domaines incendie, séisme et risque de chute d’avion devront être convenus avec l’ASN et le Haut Fonctionnaire de défense et de sécurité.
La Commission nationale du débat public (CNDP), saisie par EDF en février 2022, a organisé une consultation d’octobre 2022 à février 2023 sur le programme du palier. Elle a publié son rapport en avril 2023.
Le maître d’ouvrage EDF a confirmé la poursuite du projet, le 28 juin 2023. Avant toute construction, deux autorisations sont nécessaires : la concession d’utilisation du domaine public maritime (CUDPM) et l’autorisation environnementale (DDAE). Les demandes ont été déposées. Ces autorisations nécessiteront une enquête publique.
Une demande de décret d’autorisation de création (DAC) a également été déposée. L’obtention du DAC est nécessaire pour commencer la construction des parties nucléaires de l’installation.
La réussite du projet EPR2 ne réside pas dans la sophistication des études de conception, qui peuvent aboutir à un design complexe, mais dans la capacité à constituer une supply chain robuste qui garantira des fournitures de haute qualité.
La politique industrielle et le choix des fournisseurs sont pilotés de manière intégrée par le plateau fournisseurs qui se réunit chaque semaine. Son efficacité fait l’unanimité. La démarche Supplier development complète le dispositif en accompagnant la montée en compétence et en qualité des fournisseurs.
Framatome devra investir dans son outil industriel. Un groupe de réflexion usine sera lancé en 2024 pour définir la stratégie, en particulier organiser les usines selon une logique de flux pour produire en série les gros composants de la chaudière. Les premiers ont été forgés.
La qualité de fabrication et les contrôles ont largement progressé ces dernières années. La confiance des clients et de l’ASN s’en est trouvée renforcée. La standardisation de fabrication supposera un dispositif apprenant pour continuer à améliorer les procédés et réduire progressivement l’utilisation de dérogations.
Le processus réglementaire de délivrance des attestations de conformité des ESPN devra être adapté. Tel qu’appliqué au projet Flamanville 3, il est conclu de manière trop tardive, après montage de tous les équipements, ce qui fait courir un risque industriel jusqu’au chargement du combustible.
La Direction des équipements pilote le cycle de vie des équipements : relations avec les prestataires industriels, surveillance des fabrications, livraison, montage et essais. La majorité des contrats est passée très tôt, en 2023 et 2024. C’est un point positif qui donne de la visibilité à la supply chain. Cette anticipation permettra d’associer les fournisseurs à la séquence d’ingénierie pour retenir des solutions industrielles et conformes à l’état de l’art.
Les fabricants d’équipements seront essentiellement français ou européens. Le taux de réplication des matériels de Flamanville 3 sera plus faible qu’on aurait pu le souhaiter, conséquence de spécifications techniques différentes entre les projets et d’une supply chain qui a évolué en 20 ans.
Bien que l’exploitant soit impliqué dans le projet depuis 2017, son expression de besoin arrive trop tard pour pouvoir être intégralement prise en compte. Son engagement s’est renforcé à la fois dans la direction de projet et dans la MOA. Des revues coprésidées avec la direction de la DPN orientent les choix. L’exploitant est associé en phase de contractualisation.
La performance de l’EPR2, en particulier sa disponibilité, doit rejoindre les standards internationaux. Elle suppose, dès la tête de série, des règles générales exploitation (RGE) qui garantissent sûreté et production. Je suivrai les démarches qui ont été lancées pour simplifier ces dernières (cf. chapitre 2).
Un premier travail a été réalisé concernant les choix de maintenance des équipements, conditionnelle, par échange standard… Il doit être poursuivi. Par ailleurs, il me semble nécessaire de ménager la possibilité de remplacer de manière industrielle les gros composants comme les générateurs de vapeur. Dans la conception de l’interface homme machine, il faudra penser exploitation et bénéficier des travaux de la R&D sur les développements de modélisation et d’imagerie des phénomènes thermohydrauliques.
Les choix d’exploitation de l’EPR2 doivent s’inspirer des meilleures pratiques organisationnelles : rythmes de travail, organisations des équipes de conduite favorables aux formations juste à temps (dont un jour dédié, J de reprise de quart), équipes d’arrêt dédiées, Work Execution Center (WEC) sont à prendre en compte.
Le combustible prévu pour l’EPR2 devra être homogène aux standards du parc EDF en 2035 (cf. chapitre 7).
L’EPR2 reprend de l’EPR la puissance (1 670 MWe) le niveau de sûreté et les principaux équipements et matériels, des atouts pour maîtriser les risques industriels. Il intègre le retour d’expérience de tous les chantiers EPR dans le monde ainsi que celui du parc en exploitation.
Reprenant les principales caractéristiques de l’EPR (coque avion, récupérateur de corium, recombineurs d’hydrogène, diversification des sources électriques internes de secours, etc.), l’EPR2 s’en distingue notamment par une enceinte unique, trois trains de sûreté, une source d’eau froide diversifiée.
Il est conçu pour être manœuvrant, conformément aux spécifications de l’exploitant. L’EPR2 prend en compte les évolutions du changement climatique et pourra s’y adapter.
Les marges de l’EPR2 doivent être suffisantes dans une perspective d’exploitation d’au moins 60 ans. Son design doit aussi être adaptable dans la durée.
La direction de projet a mis en place un dispositif de pilotage ad hoc des marges du design. Je souligne le bien-fondé de cette initiative qui sera à maintenir dans la durée, de la conception à la mise en service industrielle.
Le changement climatique est pris en compte à la conception. L’EPR2 retient des hypothèses très conservatives. Les référentiels applicables sont sévères et incluent des marges. Pour éviter un design trop complexe, voire surdimensionné, il faudra veiller à ne pas vouloir additionner à l’excès des conservatismes là où des parades d’exploitation pourraient suffire (cf. chapitre 6).
Je relève la bonne orientation du dialogue technique avec l’ASN comme sur le dossier Exclusion de rupture. Le projet tire les leçons de l’aléa corrosion sous contrainte (CSC). Des dispositions spécifiques sont définies avec des méthodes de construction et un programme de contrôles adaptés. Les tracés des tuyauteries seront revus. Les procédés de soudage, les tolérances dimensionnelles de montage, le principe d’arasage des soudures, la maximisation des préfabrications et la minimisation du nombre de soudures sont autant de facteurs favorables à la prévention du risque de CSC. Les connaissances sur l’origine de ce phénomène inédit sont susceptibles de s’enrichir et le projet devra rester en veille pour en intégrer, le cas échéant, les enseignements.
L’EPR2 devrait bénéficier dès la phase d’études de la nouvelle chaîne de calcul de cœur ODYSSEE. Plus prédictive que les outils actuels, elle tire parti des dernières connaissances en modélisation.
Les réparations des soudures des circuits du secondaire de l’EPR Flamanville 3 (FLA3), leur détensionnement et les épreuves hydrauliques associées ont été achevés à l’été 2023. La fin de ces activités ponctue quatre ans de travail. Les essais de requalification d’ensemble (ERE 23) se sont achevés avec succès le 10 décembre 2023. Le planning des activités avant chargement est tendu et reste conditionné au traitement du reste à faire et à l’obtention des autorisations réglementaires.
Le dialogue technique avec l’ASN se déroule de manière satisfaisante. Des palliatifs aux problèmes de fiabilité de l’instrumentation interne du réacteur et aux fluctuations de flux neutronique ont été définis pour les premières années d’exploitation.
Des solutions de long terme seront à mettre en place une fois terminés les analyses et les programmes d’essai. La compréhension du phénomène de corrosion accélérée de l’alliage M5 des assemblages de combustible doit continuer à progresser. Des solutions de prévention ont été définies (cf. chapitre 7).
Je soutiens l’initiative d’un système d’autorisation interne (SAI) inspiré du SAI cœur combustible et convenu avec l’ASN pour autoriser le franchissement des différents paliers de puissance intermédiaire de la phase de démarrage.
Le programme de la visite complète n°1 demeure titanesque. Pour la préparer, il faut dès à présent y consacrer des ressources dédiées et protégées des activités fortuites inhérentes à la phase de démarrage et au premier cycle d’exploitation.
L’expérience du projet FLA3 est très riche. Elle doit pleinement profiter au projet EPR2 qui entre en phase de detailed design. Les sujets relatifs à l’organisation d’exploitation, au dimensionnement des ressources, à la nécessaire fluidité des relations avec Framatome, à l’approvisionnement des pièces de rechange, aux choix d’interface homme machine, à la disposition des équipements, à la fiabilité des équipements de ventilations et des cellules électriques, au déficit d’intégration des systèmes supports des diesels principaux doivent tous faire l’objet d’une analyse approfondie. Forts d’un savoir précieux, certains acteurs clés du projet FLA3 doivent pouvoir consacrer du temps au projet EPR2 pour transférer leur expérience de terrain.
Comme indiqué dans le rapport 2022, le projet Hinkley Point C (HPC) doit saisir l’opportunité de participer à la phase de démarrage de FLA3. Les équipes du site y sont prêtes. Cet investissement sera naturellement rentabilisé.
L’articulation de l’exploitant avec les équipes de construction, de montage et d’essai des futurs projets français et britanniques doit s’inspirer de la démarche ONE Fla3. Bien que tardive, elle a eu la vertu de fédérer tous les acteurs autour d’un objectif commun en renforçant le positionnement du futur propriétaire exploitant. Les processus de transfert (pour consignation, maintenance et exploitation des équipements, systèmes et locaux) utilisés à FLA3 étaient les mêmes que ceux des démarrages des précédents paliers. Ce retour d’expérience doit servir le projet EPR2.
Dans les chantiers de réacteurs neufs, avant le passage au stade d’installation nucléaire, il me paraît indispensable, au titre de la protection du patrimoine industriel, de porter, dès le début de la construction, une plus grande attention au risque incendie que ce ne fut le cas à FLA3.
Le site de Penly permet d’accueillir quatre réacteurs de forte puissance, deux 1 300 MWe en exploitation et deux EPR2.
Le projet EPR2 bénéficie du soutien des collectivités territoriales. Il minimise l’empreinte sur la biodiversité terrestre et maritime par une implantation sur une parcelle déjà artificialisée et un impact foncier optimisé. Il répond aux dix critères techniques recommandés par l’AIEA : foncier, urbanisme, source froide, nature des sols, risques externes tels que séisme et inondation, sensibilité environnementale incluant le volet rejets d’une installation industrielle, liaison et implantation dans le réseau électrique.
Au Royaume-Uni, un jalon important a été franchi le 15 décembre 2023 avec la pose du dôme du réacteur n°1 de l’EPR de Hinkley Point C (HPC). Le projet opèrera en 2024 un virage d’ampleur avec la montée en puissance des montages électromécaniques (MEH) qui nécessitent une bonne coordination et une grande qualité d’installation. La nature des risques de sécurité au travail évolue avec la multiplication des coactivités (cf. chapitre 3). Le projet devra coordonner les montages des premières tuyauteries dont les approvisionnements accusent du retard. Il devra aussi veiller à la bonne articulation entre une logique de productivité (montage en masse) et le pilotage par jalons en lien avec les travaux de génie civil. La tenue des cadences prévues, très ambitieuses au regard des chantiers précédents, devra être assurée sans compromis sur la qualité.
En comparaison des autres projets EPR, HPC dispose d’un bon degré de maturité du design du MEH. Mi-2023, 90 % du detailed design est disponible et permet d’engager la production des plans d’exécution. Je note que le processus qualité de fourniture des équipements est robuste. Des retours fournisseurs restent cependant attendus pour terminer des études du detailed design et des plans d’exécution. Le programme de qualification d’équipements confié à certains fournisseurs mérite aussi une attention particulière.
La stratégie de constitution des équipes d’essai (commissioning) est bien orientée, de sorte à faire bénéficier le futur exploitant de l’expérience acquise. Le niveau de recrutement et l’effectif cible des équipes de maintenance me semblent en retrait, ce dernier étant dimensionné à date comme celui de FLA3 alors que le site comptera deux nouveaux réacteurs et 20 % de matériels en plus par réacteur. Conscient de cette problématique le projet HPC travaille à la réévaluation de l’effectif cible de la maintenance en s’intercomparant avec les organisation de SZB, OL3 et FLA3.
L’expérience du projet HPC doit bénéficier au projet EPR2 dans tous les domaines : design, méthodes de construction du génie civil, montages électromécaniques, supply chain, savoir-faire en matière de commissioning, modèle d’exploitation, méthodes de planification, outils de pilotage, etc.
Le projet d’EPR Sizewell C est résolument orienté vers la réplication d’HPC. Ce choix est à tenir dans la durée. L’ONR (Office for Nuclear Regulation) soutient formellement ce principe, gage d’efficacité, de qualité et finalement de sûreté. La réplication passe par le transfert du detailed design et des plans d’exécution. Relevant de sociétés distinctes, les risques d’écarts devront être maîtrisés tout au long du projet. L’environnement, la géologie et le plan-masse lié aux spécificités du site et à la proximité du REP Sizewell B nécessitent des adaptations qui ne doivent pas remettre en cause le principe de réplication. Les évolutions réglementaires dans les domaines incendie et ALARA requerront des dossiers de justification. Enfin, l’accélération du planning de construction ne doit pas conduire à prendre des options qui remettraient en cause le design.
En vue d’un design sûr et aussi simple que possible de l’EPR2, je recommande au directeur de la DIPNN, en relation avec l’ASN, de veiller à ne pas additionner à l’excès les conservatismes de dimensionnement et les parades d’exploitation.
Pour bénéficier à plein du retour d’expérience du parc en exploitation et des projets EPR, je recommande aux directeurs de la DPNT et de la DIPNN d’intégrer davantage l’exploitant dans les équipes d’ingénierie chargées du detailed design de l’EPR2.
RECOMMANDATIONS |
En vue d’un design sûr et aussi simple que possible de l’EPR2, je recommande au directeur de la DIPNN, en relation avec l’ASN, de veiller à ne pas additionner à l’excès les conservatismes de dimensionnement et les parades d’exploitation.
Pour bénéficier à plein du retour d’expérience du parc en exploitation et des projets EPR, je recommande aux directeurs de la DPNT et de la DIPNN d’intégrer davantage l’exploitant dans les équipes d’ingénierie chargées du detailed design de l’EPR2.