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      La transformation du mix énergétique est engagée. Elle va s’accélérer sous l’impulsion des politiques publiques. L’électrification des usages, la croissance des énergies renouvelables intermittentes (ENR) et leur répartition inégale soulèvent des problématiques nouvelles pour les gestionnaires des réseaux de transport d’électricité.

      Le solaire et l’éolien ne contribuant pas encore aux besoins de flexibilité, le système électrique a de moins en moins de marge. L’augmentation des événements significatifs système (ESS) observée en France et au Royaume-Uni ces cinq dernières années l’illustre. Des incidents marquants incitent à la prudence : séparations est-ouest du réseau européen en janvier 2021 puis de la péninsule ibérique en juillet 2021.

      bilans de surete
      Des ESS en constante augmentation

      RTE mesure chaque année la sûreté d’exploitation du système électrique en comptabilisant les événements significatifs système (ESS) classés selon une échelle de gravité allant de 0 (sans impact direct sur la sûreté du système) et A jusqu’à F. Ces événements reflètent la survenue d’incidents dont les origines peuvent être multiples.

      Avec 162 ESS, l’année 2022 s’inscrit dans une tendance globale toujours à la hausse depuis 2017.

      Source : Bilan Sûreté 2022 RTE

      Dans ce contexte, le nucléaire, pilotable et manœuvrant, joue un rôle essentiel. Sa résilience face à ces nouvelles perturbations doit être garantie et l’exploitant doit se tenir prêt à faire face à un incident réseau généralisé, même rare. Les pertes totales des alimentations électriques externes sont prévues à la conception des centrales et dans les études de sûreté. Sauf îlotage (cf. infra), la sûreté est assurée par les diesels et le fonctionnement en thermosiphon avant la restauration des sources externes. Si ces situations sont prévues, d’un point de vue probabiliste il convient de ne pas les multiplier à l’excès.

      Séparation du réseau électrique européen

      Le 24 juillet 2021, le réseau électrique synchrone européen a été séparé en deux zones en raison de la perte en cascade de plusieurs lignes situées à la frontière franco-espagnole.

      L’analyse technique de l’événement réalisée a posteriori par le groupement européen des gestionnaires de réseau (ENTSOE) a montré que le fait initiateur était un incendie à l’origine d’un court-circuit sur une des deux lignes de la liaison 400 kV Baixas-Gaudière. La diminution de puissance transitée n’ayant pas été assez rapide (flux initial de près de 2 500 MWe), un phénomène de surcharges en cascade a progressivement mené à la perte de synchronisme entre les réseaux français et espagnol, avec pour conséquence finale de couper complètement la péninsule Ibérique du reste du réseau continental européen.

      Source : ENTSOE

      Le nucléaire contribue de façon importante au réglage permanent de la tension par action sur le courant d’excitation de l’alternateur. Ce dernier produit ou consomme de la puissance réactive, ce qui modifie la tension au point d’injection. De proche en proche, cet effet se répercute sur l’ensemble des points voisins. Contrairement à la fréquence, le maintien de tension a donc une réalité résolument locale. Le nucléaire y apporte une contribution clef. Ainsi le site de Blayais a été sollicité au printemps 2023 par le RTE pour maintenir deux de ses réacteurs couplés au réseau, au titre du soutien au plan de tension de la plaque sud-ouest. Cela s’est traduit notamment par le report de près d’un mois de la visite décennale du réacteur numéro 2.

      Ces dernières années, le raccordement privilégié des ENR directement sur le réseau de distribution et l’enfouissement des lignes ont eu tendance à induire des phénomènes de tensions hautes. Cela sollicite les alternateurs des sites nucléaires plus près de leurs limites de fonctionnement et les rapproche des seuils de protection.

      Maintenance sur un transformateur a Penly

      Par ailleurs, il est crucial que les caractéristiques dynamiques du réseau, imposées aux futurs réacteurs, soient technologiquement acceptables. C’est un des enjeux de l’implication d’EDF dans l’élaboration des codes de réseau européen et de leur révision périodique. Les discussions autour du ROCOF (pente de variation de fréquence lors d’un à-coup de réseau), qui tendra à augmenter avec la disparition des groupes pilotables fortement inertiels, en sont un bon exemple. Si l’essor des ENR tend à imposer un ROCOF élevé, il faut aussi préserver les marges de fonctionnement des machines pilotables, elles-mêmes stabilisatrices.

      Intervention DTG sur un transformateur
      Tempête Ciarán

      Les 1er et 2 novembre 2023, les vents violents et les pluies abondantes de la tempête Ciarán ont touché le nord-ouest de la France. La foudre a frappé une ligne à très haute tension et le vent a fragilisé une traversée électrique du transformateur principal du réacteur n°2 de Flamanville, conduisant aux îlotages des deux unités. Les réacteurs produisent alors l’énergie nécessaire à leurs systèmes auxiliaires pour fonctionner de façon autonome en toute sûreté. Le transitoire s’est déroulé normalement et a été correctement géré par les équipes de quart. Le réacteur n°1 a été reconnecté rapidement au réseau, le réacteur n°2 a dû être mis à l’arrêt pour remplacer la traversée endommagée. L’entraînement des équipes de quart en préparation de l’événement a contribué à la maîtrise de ces transitoires.

      Renforcer formation et entraînement

      Les réacteurs à eau pressurisée REP d’EDF ont des designs robustes avec une redondance des sources électriques externes, internes et ultimes, renforcée après Fukushima Daiichi (DUS, diesels d’ultime secours).

      L’enjeu porte sur les compétences requises pour garantir un haut niveau de maîtrise opérationnelle, depuis les matériels 400 kV jusqu’au moindre composant de la distribution électrique. Des échanges menés sur site et avec les unités nationales d’appui, je retiens que des efforts complémentaires mériteraient d’être accomplis dans les métiers de la conduite et de la maintenance électrique.

      A la conduite, la formation des opérateurs dans ce domaine est très concentrée pendant leur formation initiale. J’encourage à généraliser l’initiative de certains sites qui organisent des recyclages. L’objectif est de s’assurer qu’au-delà de l’application des procédures, les équipes conservent la maîtrise du schéma de distribution électrique et la capacité à élaborer des diagnostics et des stratégies de réalimentation. Il me paraît également important que chaque opérateur soit régulièrement amené à jouer un scénario de perte des alimentations électriques externes et de reconstitution de réseau. Enfin, les compétences des délégués sécurité exploitation (DSE), en matière de configuration et de consignation des matériels 400 kV, 225 kV et 6,6 kV, méritent une attention particulière. L’objectif est d’affermir leurs connaissances et de leur donner confiance dans la maîtrise des gestes rares.

      A la maintenance, si des initiatives sont prises par le niveau national à travers des guides et des communautés de pratiques, le risque est de ne toucher qu’un nombre limité d’acteurs locaux. Le catalogue de la formation spécifique au domaine électrique est bien fourni (par exemple, stages constructeurs). Néanmoins, la maîtrise de la distribution électrique doit être rehaussée pour tous. Le personnel d’astreinte électricité, en lien avec l’exploitant en cas d’incident, doit en particulier disposer d’un socle plus pointu de compétences. Elles doivent être acquises par la formation et par un parcours professionnel comportant la réalisation (ou le suivi) d’activités plus rares telles que les coupures 400 kV ou 225 kV, les coupures de voies ou les coupures de tableaux. Un suivi plus particulier de ces populations sensibles doit être assuré.

      gerer equilibre offre demande
      Graphe de variation de puissance un reacteur 1300 MWe

      La direction de Nuclear Operations a engagé un programme de travail volontariste. Il intègre la création au plus haut niveau d’instances d’échange avec les gestionnaires de réseau pour partager la situation, anticiper les évolutions et définir les parades nécessaires. Il comporte aussi un pan matériel visant à renforcer la résilience des sites : revue des normes minimales d’entretien obligatoire, élaboration de stratégies de durée de vie pour certains composants, investissements ciblés, amélioration des moyens de surveillance de l’état du réseau. Si ces initiatives sont à saluer, elles arrivent un peu tardivement et méritent d’être mises en œuvre dans des délais courts. Le remplacement des matériels à l’origine de l’événement survenu en 2021 ne sera achevé qu’en 2024 (cf. rapport 2021), d’où la nécessité d’analyser et de traiter au plus tôt les causes matérielles des événements de 2023.

      Europe vue espace empreinte lumineuse

      En conclusion, j’incite Nuclear Operations à mieux se prémunir des perturbations du réseau britannique et les Français à tirer les enseignements de tout incident outre-Manche, précurseur de ce que l’arrivée massive des ENR provoquera sur le continent.

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