Des progrès en sûreté et en disponibilité récompensent de bonnes orientations et un travail de fond.
La complexification continue et un basculement est nécessaire, d’un excès de processus vers davantage d’exigence et d’esprit de performance.
Connaissance et maîtrise des risques, responsabilité et leadership doivent être les moteurs de ce changement.
Outre une situation difficile qui résulterait d’une dégradation de l’installation (cf. chapitre 5) (cf. chapitre 9) l’incendie, les aléas naturels (cf. chapitre 6) et une incompréhension entre l’homme et la machine (cf. Three Mile Island) figurent parmi les principaux risques de sûreté.
Même s’il faut rester humble et si cet indicateur est loin de tout dire de la sûreté, on peut se réjouir du très bon résultat, en France, en matière d’arrêts automatiques de réacteurs (AAR) : avec 15 AAR, 2023 marque comme 2022 le second résultat historique du parc (14 en 2020), les 3 meilleurs résultats ayant été observés ces 4 dernières années.
Le retour progressif à la disponibilité, après les crises du COVID et de la corrosion sous contrainte (CSC), est également une bonne nouvelle, à la fois en matière de production et de sûreté.
Au Royaume-Uni, 2023 apparaît comme une année de consolidation avec des indicateurs convenables et, pour la seconde année consécutive, une production non affectée par des avaries. Le succès du déchargement du premier réacteur de Hunterston B est à signaler.
Il faut saluer aussi, dans les deux pays, l’esprit d’ouverture, entre les deux parcs, vers l’association mondiale des opérateurs nucléaires WANO et à l’international.
Le traitement de la CSC des réacteurs à eau sous pression (REP), objet désormais d’un programme industriel pluriannuel, mobilise des ressources considérables en contrôle, réparation et soudage. Le choix du remplacement préventif de lignes d’injection de sécurité du palier P’4 de 1 300 MWe porte ses fruits : plannings et chantiers sont mieux assurés que dans une stratégie de réparation « selon état ». La dosimétrie est maîtrisée. Au Royaume-Uni, aucun défaut de CSC n’a été identifié sur le REP Sizewell B, contrôlé en 2023.
Par nature complexe et multifactorielle, la CSC demande de la prudence. La découverte, début 2023, de fissures profondes sur certaines soudures qui n’étaient pas jugées les plus à risque mais qui avaient à la construction été réparées, en témoigne. Le travail d’expert pour approfondir les mécanismes et quantifier les paramètres se poursuit. Et il faut se hâter d’instrumenter certaines lignes avec des thermocouples, ce qui est fait à Sizewell B et prévu en France.
Cette affaire a été pilotée avec un esprit de responsabilité et une mobilisation remarquables. Mais l’organisation ramifiée est source de complexité. En particulier, les experts doivent avoir toute leur part dans l’élaboration des avis et stratégies et ne pas être de simples sous-traitants chargés de répondre à des questions, en fonction des calendriers, parfois trop engageants, de prise de position vis-à-vis de l’Autorité de sûreté nucléaire (ASN). Les experts de Framatome auraient pu être davantage associés à ces études, dans un esprit de pleine intégration au Groupe.
Un retour d’expérience à froid sera utile le moment venu. Cette affaire rappelle notamment l’intérêt de procéder à des contrôles « large bande », favorables à la découverte de défauts non anticipés (cf. chapitre 5), et de considérer des techniques de réparation éprouvées dans d’autres pays (par exemple overlay, colliers de compression…).
Durant mes visites, je constate un état satisfaisant des installations, en amélioration sensible.
L’état des stations de pompage inspectées progresse dans les deux parcs. Le plan d’action, notamment contre la corrosion, porte des fruits. L’effort doit continuer car l’état souhaitable n’est pas encore atteint et le combat doit être permanent en bord de mer.
L’attention aux sources électriques internes est d’autant plus nécessaire que les réseaux peuvent à l’avenir se révéler plus fragiles (cf. chapitre 9). Chez Nuclear Operations, la situation du REP de Sizewell B, que j’ai visité et qui dispose de quatre diesels, est bonne. Toutefois, dans certains sites AGR (Advanced Gas-cooled Reactor, réacteur graphite gaz), l’indicateur de disponibilité des turbines à gaz (SPP5 WANO) n’était pas satisfaisant ; les premiers effets bénéfiques de la task force se font sentir. En France, l’exploitation des diesels ne répond toujours pas aux règles de l’art (cf. rapport 2021), faute de lui accorder la priorité qu’elle mérite.
La difficulté à intervenir demeure, qu’il s’agisse de délivrance des régimes, de règles générales d’exploitation (RGE), de planification, de pièces de rechange, de documentation, de capacité des métiers. Rassembler l’ensemble des conditions demande une énergie considérable, altérant l’efficacité et le temps métal. Ce dernier est d’ailleurs l’un des chantiers prioritaires du président du Groupe.
Les sites ont du mal à gérer leur patrimoine technique (dette patrimoniale) et leur pot de DT (liste des demandes de travaux). En France, si celui-ci se réduit depuis plusieurs années, il reste trop élevé. Au Royaume-Uni, s’il paraît diminuer, les progrès sont lents, faute d’employer les méthodes les plus efficaces, et l’obsolescence demeure problématique. Dans les deux parcs, il reste des matériels quasi orphelins qui, bien que non classés, contribuent à la sûreté. Les contraintes budgétaires n’y sont pas étrangères. Il s’y ajoute, en France, l’ampleur des 4es visites décennales (VD4) (cf. chapitre 5).
Les deux parcs peinent à maîtriser le calendrier des arrêts pour maintenance. A la Division de la production nucléaire (DPN), le programme START 2025 porte ses premiers fruits. Chez Nuclear Operations, la démarche Cornerstones doit encore manifester son efficacité.
Bien qu’elle reste hétérogène (cf. rapport 2022), l’internalisation de certaines tâches de maintenance apporte de réels bénéfices à la DPN : les sites peuvent mieux intervenir sur événement fortuit et piloter techniquement les prestataires.
Des directions techniques et ingénieries de CNPE français montent en puissance. Les bilans de fonction sont solidement réalisés, avec les métiers, même s’ils restent parfois « faits pour Paris ». L’objectif est maintenant de mieux les utiliser dans une optique patrimoniale. La programmation pluriannuelle a été malmenée ces dernières années et les sites s’y réinvestissent. Une inquiétude demeure à propos des préparateurs, accaparés par le système d’information du nucléaire (SDIN) et dont le rôle de référent technique s’érode.
L’essentiel est de passer d’un esprit de conformité (aux programmes nationaux, instructions, exigences) à un esprit de propriétaire que je ne ressens pas assez lors de mes visites.
Même si les indicateurs sont corrects, les erreurs engageant les facteurs organisationnels et humains (FOH) demandent de mieux se concentrer sur le sens, les compétences et les comportements. Des incidents illustrent en effet que rigueur et maîtrise ne sont pas toujours au niveau requis, comme :
Revenir aux événements passés nourrit aussi la mémoire collective et la culture de sûreté : je salue la publication par la DPN d’un recueil qui leur est consacré. Remarquable sur le fond et la forme, j’invite chacun à le consulter régulièrement.
Notre histoire des évènements Sûreté
REX du parc EDF et mondial
Trop de sites restent en difficulté dans les deux parcs (cf. rapport 2021). La connaissance des réalités, le dispositif d’évaluation et la détection de ces sites se sont beaucoup améliorés. L’appui des services centraux manque encore d’efficacité, même si des initiatives sont bénéfiques comme leur retour sur le terrain, les revues de pairs intersites, l’aide ciblée et les missions de WANO.
Rigueur et compétence doivent être la marque de tout professionnel du nucléaire et plus encore des équipes de conduite. En France, malgré 40 ans d’exploitation d’un parc standardisé, la conduite est hétérogène. L’homogénéisation des pratiques est d’autant plus nécessaire que j’observe ici et là de bonnes choses. Au Royaume-Uni, les pratiques en salles de commande sont homogènes, en ligne avec les standards internationaux.
En France, l’équilibre entre ce qui relève du management et ce qui relève du dialogue social ne me paraît pas en place : le management doit être en mesure de cadrer les règles, les plannings et les pratiques. Il m’a semblé anormal, lors de grèves, d’arrêter la montée à 0,5 % de puissance après la divergence : cette décision ne peut pas relever des seuls opérateurs. Un retour d’expérience à froid me paraît nécessaire.
Le pilotage du métier de la conduite (animations métier), fonction indispensable dont on voit les premiers bénéfices, se met en place à la DPN. Revenant aux bases, traitant de sujets techniques et organisationnels, cette démarche fixe les pratiques. Concrète et très encourageante, elle requiert impérativement l’alignement managérial et la participation de tous les sites. De plus, elle reste indissociable du travail sur les compétences en conduite (cf. chapitre 8).
Le travail de terrain engagé depuis 2020 avec WANO, sur les fondamentaux et sur le rôle du pilote de tranche, fait progresser. L’objectif est maintenant d’internaliser ce mentorat à l’Unité de professionnalisation pour la performance industrielle, UFPI.
Chez Nuclear Operations, les démarches sur les fondamentaux, dont line of sight to the core, se poursuivent. Là aussi, le besoin se fait ressentir de se centrer davantage sur les comportements.
Risque principal dans les installations industrielles du Groupe, l’incendie doit être traité comme tel par toutes les directions de sites et par tous. L’engagement collectif et managérial ne me semble pas assez homogène.
J’ai vu de très bons exemples, en particulier lorsque les sapeurs- pompiers volontaires sont nombreux, que les relations avec le SDIS sont étroites, que la conduite se prépare activement à intervenir, que les systèmes sont testés en eau et que les exercices sont nombreux, réalistes et pilotés. Le centre local d’intervention de Paluel, équipé et armé par son personnel, est une organisation originale qui a attiré positivement mon attention. Mais je continue aussi à rencontrer des services de prévention des risques ou des chargés incendie qui se sentent un peu seuls.
En matière de prévention, je vois rarement des portes coupe-feu ouvertes mais je sais que la situation peut fluctuer selon les périodes. La maîtrise des charges calorifiques reste un problème général. Surtout, je réitère mon appel à la vigilance et à la présence de terrain lors des travaux préparatoires aux VD4 (4es visites décennales) réalisés tranche en marche, qui présentent des risques significatifs : travaux dans des locaux sensibles, charges calorifiques, ouvertures de sectorisation, inhibition de détecteurs, etc.
J’observerai avec attention la mise en place des Gardes opérationnelles (antennes de sapeurs-pompiers professionnels dans les CNPE les plus éloignés d’une caserne), en étant conscient des questions de recrutement et d’intégration sur site qu’elle pose.
Au Royaume-Uni, le design des plus anciens réacteurs AGR présente des faiblesses de sectorisation. Des moyens alternatifs ont été ajoutés sans totalement les compenser. Il est donc essentiel que les systèmes de détection et d’extinction soient parfaitement entretenus, ce qui n’est pas toujours le cas.
Un des défis, en production comme en sûreté, est de retrouver le sens de la performance. S’il y a des exemples (Davis Besse) où la priorité à la production a gravement affecté la sûreté, le contraire n’est pas non plus gage de sûreté. La maîtrise des activités, de la machine et des risques sert à la fois la production et la sûreté.
L’orientation de la DPN de renforcer la filière métiers plutôt que de porter l’accent sur les processus est très positive. Il faut maintenant viser à des effets plus rapides.
Si elle compte des experts remarquables et déploie une activité considérable, l’ingénierie est toujours surchargée, dans une spirale qui met en cause sa prise de recul et sa capacité de questionnement. La volonté de viser le juste nécessaire est heureuse (cf. chapitre 5).
Dans certaines ingénieries, les immersions en CNPE ont été réduites pour raisons budgétaires. Les visites de terrain devraient être systématiques et ne le sont pas. Il en résulte régulièrement des systèmes ou modifications trop théoriques, déclinant des exigences sans s’ancrer dans les réalités de l’exploitation et le sens de l’ingénieur. J’ai vu des protections grand vent absurdes et j’ai encore entendu l’idée d’installer des groupes froids sur le toit de bâtiments balayés par les embruns…
Gagner en efficacité suppose de résoudre certaines questions plus près du terrain, de laisser aux managers une marge d’appréciation, de prendre les décisions au bon niveau. L’accent de la DPN et de Nuclear Operations sur la présence de terrain est essentiel. Celle-ci doit être entendue comme une modalité normale de management des équipes et des activités, et non comme un mode de reporting supplémentaire. J’apprécie à ce titre la suppression du formalisme des visites managériales de terrain (VMT) au profit d’échanges sur les observations suivis d’actions concrètes.
Les états-majors de la DPN, de l’Autorité de sûreté nucléaire (ASN) et dans une mesure croissante de l’Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire (IRSN) s’accordent sur le principe de simplification, mais sa déclinaison est lente et la « machine à complexifier » semble toujours en marche.
De trop nombreuses non-qualités ont engendré une forme de réassurance par l’ajout continu d’exigences, de signatures, d’analyses de risque, de lignes dans les procédures, de matériels et de critères dans les RGE (règles générales d’exploitation). Il faut montrer que le travail sur le geste est suffisant et efficace, là où la « procéduralisation » des activités ne favorise souvent que l’illusion du contrôle. Le terrain l’exprime : « on fait tout pour que l’on se trompe » ou « on n’exploite plus, on rassure ».
J’approuve l’orientation de la DPN de revoir l’application de la directive (DI 100) organisant la déclaration des événements significatifs de sûreté (ESS) en ligne avec ma recommandation de 2022. Elle compte mieux sélectionner les événements devant faire l’objet de comptes rendus (CRESS) et les concentrer sur l’essentiel, y compris les questions de compétence et de comportement. J’apprécie aussi de voir l’UNIE (Unité d’ingénierie d’exploitation) consacrer moins de temps à prescrire et davantage à appuyer les sites.
La nécessaire simplification impose d’être plus rigoureux.
Les RGE françaises ont, au fil des années, considérablement crû en volume et en complexité. La DPN a initié en 2023 une réflexion pour les refondre, dans un esprit plus proche de celui prévalant à l’international. Je salue cette démarche, gage d’une exploitation plus simple et plus sûre. Le partage avec Nuclear Operations pourrait être bénéfique.
Sans attendre, je recommande, en lien avec l’ASN, de simplifier résolument les RGE actuelles et déjà d’arrêter de complexifier. Faut-il vraiment 16 000 critères sûreté d’essais périodiques, dont 160 par diesel, à Flamanville 3 ? La maîtrise des agressions ne me paraît pas non plus imposer d’inclure les RASA dans les RGE (cf. chapitre 6).
Les spécifications techniques d’exploitation (STE, chapitre 3 des RGE) doivent être concises, édicter l’essentiel et ne pas chercher à tout traiter. Ce n’est pas parce que quelque chose a une incidence sur la sûreté ou figure dans le rapport de sûreté qu’elle doit être dans les STE ou les RGE, ni parce qu’un matériel peut être utile à la sûreté qu’il doit être classé EIPS (équipement important pour la sûreté). Il y a bien des choses à connaître, faire et vérifier dans une centrale nucléaire qui n’ont pas vocation à être intégrées aux RGE, sauf à rendre celles- ci inexploitables et à faire perdre de vue les critères et paramètres essentiels qu’elles doivent souligner.
Il me semblerait également opportun de se réinterroger sur les règles de cumul d’indisponibilités de groupe 2. Conçues pour s’assurer que l’état général de sûreté ne dérive pas, elles empêchent souvent d’intervenir pour entretenir ou réparer des matériels, à l’encontre de l’objectif initial.
En 2023 encore plusieurs dizaines de replis de réacteurs (42) vers l’état d’arrêt ont eu lieu sur critère RGE. S’il y a des replis nécessaires et indiscutables, tous ne le sont pas : il s’agit parfois de cumuls sans incidence sur la sûreté ou de dépassements mineurs de critères. Le repli n’est pas une activité anodine et, si le doute doit bénéficier à la sûreté, le repli ne lui bénéficie pas automatiquement.
Les RGE ne diront jamais tout de la disponibilité des matériels. Si quelques critères ne souffrent pas de discussion (ceux à inscrire dans les RGE), le jugement d’ingénieur, le discernement et la responsabilité restent indispensables : il faut leur redonner leur place.
Si la sûreté est pleine de démonstrations, l’essentiel doit être la sûreté plutôt que la démonstration.
Les dangers d’une survalorisation de l’expression démonstration de sûreté sont multiples :
L’accident de Three Mile Island a manifesté que l’on ne peut pas prévoir tous les événements, d’où le passage de procédures de conduite événementielles à l’approche par états (APE). On voit aujourd’hui s’ajouter trop de scénarios dans l’APE, au risque d’en perdre le sens originel et de la rendre plus complexe et moins efficace dans les scénarios plus probables.
Système complexe, une centrale nucléaire engendrera de l’imprévu. Tout ne sera pas inscrit dans les procédures : il faut convenir du point où elles s’arrêtent et où commence la gestion de crise. Se préparer à faire face à l’imprévu passe par la formation, la compréhension des phénomènes physiques, l’imagination de scénarios, les exercices de crise, l’intime connaissance et la pratique, sur le terrain, des matériels et des manœuvres.
Je note qu’en France la conduite n’est pas bien intégrée à la gestion des exercices de crise. Or les agents de terrain auront à exécuter des manœuvres ou à interconnecter des systèmes avec ceux de la FARN (Force d’action rapide du nucléaire), il faut s’y entraîner. Je renouvelle mon appel à ce que chacun s’exerce régulièrement aux manœuvres dont il aurait la responsabilité. Et cela d’autant plus qu’avec les VD4, les installations évoluent en permanence.
Créée après Fukushima Daiichi pour pouvoir faire face à l’imprévu, à des situations extrêmes, la FARN entretient bien ses matériels, développe ses compétences, s’entraîne. Les exercices avec les CNPE sont peu fréquents et d’ampleur : il serait judicieux de les compléter par des entraînements à petite échelle, associant des agents de la FARN et du site. Le rapprochement de la FARN et de l’Organisation nationale de crise, positif, devrait être mis à profit dans ce sens.
Au Royaume-Uni, les équipements de crise gagneraient parfois à être mieux entretenus.
En France, l’inflation des processus, les excès du management par les modes de preuve ainsi qu’une forme de cogestion soucieuse d’éviter toute vague sociale ont, dans la durée, mis à mal le leadership. Avoir conscience des risques, en connaître les parades, développer les compétences, travailler le geste, insuffler rigueur et esprit de responsabilité, vouloir la performance relèvent du leadership.
WANO s’en fait l’écho en le plaçant au centre des stratégies d’amélioration de la performance. La DPN et Nuclear Operations suivent cette voie. Le pilotage plus technique des métiers (animation métier) comme le remplacement du Guide de management de la sûreté de la DPN par un Guide du leadership nucléaire en sont des marques. Les messages de la direction de la DPN, qui sous-tendent le programme START 2025, sont clairs et sains et je soutiens pleinement ce mouvement.
Il ne s’agit pas tant d’opposer sûreté réglée et sûreté gérée que de revenir à la source : maîtriser les risques et produire. La maîtrise des risques impose des règles, des procédures et de la traçabilité ; celles- ci en sont un outil et ne suffisent pas.
La sûreté suppose aujourd’hui moins d’exigences et plus d’exigence. Basculer vers moins de documentation, de processus et de reporting et davantage de rigueur, de responsabilisation (accountability), de compétence, de concentration sur le geste, les hommes et la machine demande de la capacité d’entrainement et du courage. En un mot, du leadership.
Les FIS (filières indépendantes de sûreté) sont écoutées par le management et les métiers avec qui les relations sont naturelles.
Au Royaume-Uni, les avis de l’INA (Independant Nuclear Assurance) sont larges et l’ensemble INA, NSG (Nuclear Safety Group) et TSSM (Technical Safety and Security Manager) couvre un périmètre complet. En revanche, le champ des FIS françaises demeure trop étroit et change peu (cf. rapport 2022). De plus, les ingénieurs sûreté (IS) poussent régulièrement à une interprétation trop littérale des RGE, y cherchant plus qu’elles ne peuvent dire, au risque d’en perdre le sens premier ; les IS aussi doivent assumer une part de jugement.
Un effort de GPEC (gestion prévisionnelle des emplois et des compétences) reste indispensable dans les deux parcs, y compris de promotion des parcours ultérieurs.
Il me semble que les combined peer-reviews, agrégeant les inspections de l’Inspection nucléaire d’EDF (IN) et les revues de pairs de WANO, gagneraient à être optimisées, tout en maintenant absolument le volume d’observations de terrain. Les revues de suivi devraient s’efforcer à davantage de diagnostic de performance, afin de ne pas laisser un site quatre ans sans appréciation. L’IN pourrait compléter les revues de pairs par des inspections thématiques.
Au Royaume-Uni, l’INA exprime des vues indépendantes et gagne en challenge. J’ai apprécié l’énergie avec laquelle elle veille à ce que les agressions climatiques et la cybersécurité soient traitées avec la vigueur requise.
Les FIS de l’ingénierie, tout en restant trop orientées sur le contrôle des processus et des écarts, participent de plus en plus à des instances où leur avis est demandé, ce qui est une évolution favorable.
Elles développent progressivement leur champ d’action, par exemple le challenge des modifications à la DIPDE (Division de l’ingénierie du parc et de l’environnement) ou les « sujets boussoles » à la DIPNN (Direction de l’ingénierie et des nouveaux projets nucléaires), mais parfois insuffisamment. J’attends qu’elles challengent les choix techniques quand c’est nécessaire et qu’elles donnent leur avis sur le pilotage de la sûreté, la culture de sûreté, les compétences, l’exigence.
Chez Framatome, les FIS sont déployées dans toutes les unités. J’ai rencontré la FIS de l’usine de Romans-sur-Isère, au rôle très comparable à celui de ses homologues de CNPE ; son action est solide. J’ai apprécié l’intérêt manifesté par la FIS de la Direction technique et ingénierie (DTI) pour les compétences ainsi que sa pratique d’entretiens libres.
Au Royaume-Uni comme en France, les relations entre états-majors sont saines et le dialogue de bonne qualité. Les relations des sites avec leur régulateur sont solides. En France, s’il y a une bonne convergence de vues entre directions nationales, la transposition dans la pratique et la régulation des priorités restent souvent à construire. Au Royaume-Uni, les relations entre l’ONR (Office for Nuclear Regulation) et EDF Energy sont matures : la répartition des rôles et la responsabilité première de l’exploitant sont claires.
Les séminaires de dialogue technique entre ingénieurs sont de bonnes pratiques, en vigueur dans le projet EPR2 ou en matière de combustible par exemple. Ils me semblent à généraliser afin d’éviter les échanges essentiellement par questionnaires et les instructions « en chambre ». Il me semble en retour indispensable d’encourager l’accès des experts au terrain afin de favoriser l’appréciation des situations réelles.
L’exploitant (DPN, ingénieries, projets) doit développer une stratégie de sûreté, manifester davantage de convictions et les étayer. Il faut oser penser et s’exprimer ! Le leadership en sûreté doit être, avant tout, celui de l’exploitant et l’ASN l’écoutera d’autant plus qu’il s’exprime en responsable. Le dossier d’orientation des VD5 900 (cf. chapitre 5) me paraît un exemple de stratégie bien pensée, à généraliser.
Face à la complexification des RGE et tout en menant le projet de les refondre à long terme, je recommande au directeur de la DPNT de simplifier au fur et à mesure les RGE actuelles et au directeur de la DIPNN de veiller dès à présent à développer les RGE de l’EPR2 dans le même esprit, en lien avec l’ASN.
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Face à la complexification des RGE et tout en menant le projet de les refondre à long terme, je recommande au directeur de la DPNT de simplifier au fur et à mesure les RGE actuelles et au directeur de la DIPNN de veiller dès à présent à développer les RGE de l’EPR2 dans le même esprit, en lien avec l’ASN.